1995, Hommage à Jérôme Bosch

L’Hommage à Jérôme Bosch résulte d’une commande du centre hospitalier du Rouvray, financée par un concours de fonds privés, pour rendre compte des vingt années d’un travail et d’une réflexion menés en commun par l’artiste et l’équipe soignante. La référence à Jérôme Bosch, et plus particulièrement à la Nef des fous, induit de la part de Denis Godefroy, une critique morale, sociale et politique à laquelle, tout au long de sa vie, il n’a jamais renoncé. La satire des puissants vise ici directement la science médicale moderne qui prétend venir à bout de la folie, inspirée ou non mais toujours irruption de l’irrationnel, alors qu’elle se limite au traitement des troubles psychiatriques. Dans ce contexte, seul l’art se révèle capable de rendre au malade, la richesse d’une vie intérieure pleine et entière. Plus encore que la pratique artistique personnelle, la présence d’une œuvre forte dans son univers quotidien – l’Hommage à Jérôme Bosch est actuellement apposé dans le pavillon Aloïse – lui offre l’accès à une réalité spirituelle supérieure. Cette approche rejoint l’idéal de la Devotio moderna et révèle l’intérêt très vif porté par Godefroy à ce courant dont Bosch se réclame ouvertement. Réalisée en 1995, l’œuvre reprend des procédés et thèmes qui lui sont chers, la matière richement travaillée, le bleu profond, le grand triangle de la percée lumineuse, la brèche et jusqu’à la plume qui évoque bien sûr « l’oiseau Godefroy » mais aussi la colombe du Saint-Esprit au sommet de la composition pyramidale des maîtres du quattrocento. Tout laisse à penser que, loin de se résumer à une œuvre testament, l’Hommage à Jérôme Bosch, qui s’apparente par sa monumentalité et sa portée morale à la tradition du grand décor italien, ouvre des perspectives nouvelles que l’artiste n’a pas eu le loisir d’explorer plus avant mais qui l’auraient sans nul doute amené à inscrire son œuvre dans l’héritage laissé par ses lointains prédécesseurs, italiens et nordiques. On ne s’étonnera donc pas de la présence, dans l’angle supérieur droit de la composition, d’un visage humain. Inhabituel dans l’œuvre de Godefroy, il figure à la manière flamande l’image du donateur et l’on serait tenté de voir, dans cette plaisante caricature, un hommage indirect, affectueux et taquin, de l’artiste à l’ami médecin qui s’est investi personnellement dans ce projet.

 

« Denis Godefroy (1949-1997) », France, Somogy Éditions d’Art, 2003, p.136.