{"id":1230,"date":"2019-09-19T19:18:32","date_gmt":"2019-09-19T19:18:32","guid":{"rendered":"https:\/\/toto.denisgodefroy.fr\/?p=1230"},"modified":"2019-09-23T12:50:20","modified_gmt":"2019-09-23T12:50:20","slug":"entretien-17-janvier-1994","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/entretien-17-janvier-1994","title":{"rendered":"Entretien avec Thierry Heynen (17\/01\/1994)"},"content":{"rendered":"

Lundi, onze heures, l\u2019atelier de Denis Godefroy, \u00e0 peine chauff\u00e9. Aux murs, quelques toiles achev\u00e9es, deux ou trois en cours, des photographies, des citations, des brosses\u2026<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Comment s\u2019est pass\u00e9e votre premi\u00e8re rencontre avec Jean-Yves Bosseur\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Comme toutes les premi\u00e8res rencontres. Lui ne connaissait pas mon travail\u00a0; moi un petit peu le sien. Il est venu dans mon atelier et je lui ai montr\u00e9 quel type de rapport visuel j\u2019avais avec la musique.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Vous aviez d\u00e9j\u00e0 eu des exp\u00e9riences en rapport avec la relation musique \/ arts plastiques ainsi que Jean-Yves Bosseur\u00a0puisqu\u2019il avait travaill\u00e9 avec Alechinsky, Tom Phillips et d\u2019autres personnalit\u00e9s.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Il y a beaucoup de points communs. Lorsque je me suis occup\u00e9 de la galerie associative D\u00e9clinaisons, on avait organis\u00e9 une exposition sur le livre d\u2019artiste avec ces m\u00eames artistes en rapport avec d\u2019autres. Ainsi, dans la rencontre, chacun a d\u00e9j\u00e0 eu l\u2019exp\u00e9rience d\u2019un melting-pot, d\u2019un mixage entre deux pratiques.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Il semble que vous ayez aussi des go\u00fbts communs\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

J\u2019essaie de pr\u00e9server un certain myst\u00e8re. Je ne connais pas les go\u00fbts esth\u00e9tiques de Jean-Yves Bosseur, mais \u00e0 partir du moment o\u00f9 il accepte notre rencontre, il doit y trouver une connivence. J\u2019ignore les raisons de celle-ci et je veux les ignorer car c\u2019est \u00e7a qui incite \u00e0 travailler. Ce qui m\u2019int\u00e9resse justement c\u2019est ma m\u00e9connaissance de son travail. Et c\u2019est pour cela sans doute qu\u2019inconsciemment je ne vais pas le voir. [\u2026] Si on se conna\u00eet trop ce n\u2019est plus du travail d\u2019interrelation entre musique et arts plastiques.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Il n\u2019y aurait plus d\u2019attente mais de la pr\u00e9vision ?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Oui et cela rel\u00e8verait de l\u2019illustration d\u2019un propos musical par la peinture. Comme la musique est en partie \u00e9crite et que Jean-Yves Bosseur\u00a0n\u2019est pas un interpr\u00e8te, je pr\u00e9f\u00e8re tisser un rapport avec les musiciens sur le moment car je ne d\u00e9crypte pas l\u2019\u00e9criture [\u2026] Lorsqu\u2019il me dit qu\u2019il veut conna\u00eetre plus ma peinture, je pr\u00e9f\u00e8re que ce soit moi qui me mette au service de la musique plut\u00f4t que le contraire. Il s\u2019appelle musicien mais il est d\u2019abord compositeur\u00a0; il confie \u00e0 ses interpr\u00e8tes le soin de pouvoir entrer en relation avec la peinture. Quant \u00e0 moi, j\u2019avais finalement des comptes \u00e0 r\u00e9gler avec un triangle\u00a0: peinture, interpr\u00e8te et compositeur.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Alors que pr\u00e9c\u00e9demment, vos exp\u00e9riences s\u2019\u00e9taient faites avec des interpr\u00e8tes compositeurs\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Oui, par exemple lorsque je travaillais avec mon fr\u00e8re. De m\u00eame avec Jean-S\u00e9bastien Bach. Je connais ses fugues par c\u0153ur depuis de longues ann\u00e9es\u00a0; ce qui m\u2019int\u00e9resse c\u2019est la fa\u00e7on dont c\u2019est jou\u00e9. Donc si j\u2019entretiens un rapport avec ce fameux triangle, j\u2019entretiens un rapport avec la sensibilit\u00e9 ou l\u2019\u00e9motion que me passe Bach, la rigueur avec laquelle la composition est faite, mais c\u2019est surtout l\u2019interpr\u00e8te qui me d\u00e9cerne l\u2019\u00e9motion que cela provoque.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

L\u00e0, c\u2019est un faux triangle puisque Bach n\u2019est plus, il ne peut rien recevoir de votre peinture\u2026<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Tout \u00e0 fait. Ce qui m\u2019int\u00e9resse c\u2019est que dans le triangle il y a toujours un coin qui manque.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Dans le cas de la proposition de Jean-Yves Bosseur, il y a une grande part d\u2019interpr\u00e9tation laiss\u00e9e aux musiciens, Jacques Feuillie et Emmanuel Thiry. Dans l\u2019\u00e9criture m\u00eame, il y a ce qu\u2019on appelle des suspens qui permettent aux deux interpr\u00e8tes d\u2019arr\u00eater le geste musical ou de tenir sur une note selon le geste fait par le peintre.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

On a tous des fantasmes. Un exemple\u00a0: Jean-Yves me passe une grande photographie de partition \u00e0 laquelle je ne comprends rien si bien que je ne sais pas quoi en faire et je la regarde simplement d\u2019un point de vue de peintre\u2026 Il me \u00ab\u00a0reproche\u00a0\u00bb de ne pas lui avoir envoy\u00e9 assez de mes \u0153uvres. Mais si je lui am\u00e8ne un seul travail, ce sera totalement r\u00e9ducteur. [\u2026] L\u2019essentiel de mon travail est la s\u00e9rie, c\u2019est-\u00e0-dire le concept. Parfois c\u2019est le titre qui d\u00e9clenche une envie d\u2019en faire, parfois c\u2019est l\u2019envie d\u2019en faire qui me fait trouver le texte.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Vous avez un rapport au mot qui est extr\u00eamement important.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Je pense que tout artiste est assez schizophr\u00e8ne. D\u2019un c\u00f4t\u00e9 on a des pulsions et de l\u2019autre un c\u00f4t\u00e9 froid des choses qui est de dire\u00a0: \u00ab\u00a0J\u2019ai une id\u00e9e et je vais essayer de la r\u00e9chauffer avec du senti.\u00a0\u00bb Je n\u2019ai pas beaucoup de rapport avec les textes th\u00e9oriques, ils m\u2019ennuient assez. Je suis oblig\u00e9 de les utiliser pour travailler, mais la seule langue qui m\u2019int\u00e9resse, c\u2019est celle qui est chant\u00e9e, la po\u00e9sie.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Et les mots \u00e9crits sur les murs de votre atelier ?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Par exemple quand je dis que l\u2019id\u00e9e de nature m\u2019ennuie mais que le paysage m\u2019int\u00e9resse [\u2026] Un homme du XXe<\/sup> si\u00e8cle n\u2019est pas en situation de nature, il est en situation de paysage. Il est dans une situation m\u00e9taphysique et essaie de faire en sorte d\u2019organiser la nature, de la transformer en paysage petit \u00e0 petit. Ici, la couleur n\u2019est pas tr\u00e8s importante. Je ne suis pas quelqu\u2019un pour qui la couleur compte \u00e9norm\u00e9ment.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Pourtant beaucoup de vos toiles sont uniquement bleues\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Une couleur n\u2019a de valeur que par rapport \u00e0 une autre. Pour les monochromes, c\u2019est le ph\u00e9nom\u00e8ne de la lumi\u00e8re qui cr\u00e9e les couleurs (par exemple le noir). Comme je l\u2019ai dit au sujet de la schizophr\u00e9nie, quelque part on est partag\u00e9 entre deux envies\u00a0: conceptuelle et \u00e9motionnelle. Si je ne restais que d\u2019un certain c\u00f4t\u00e9 de ces notions, ce serait \u00ab\u00a0roupiller\u00a0\u00bb. Il faut faire la synth\u00e8se. Si je n\u2019\u00e9tais pas peintre, je serais malheureux. En r\u00e9alit\u00e9 je me fiche de la peinture. Ce qui m\u2019int\u00e9resse c\u2019est que mon travail de peinture soit interrog\u00e9 par l\u2019\u00e9criture et la musique. Lire, \u00e9couter, regarder. \u00c0 la lecture de la po\u00e9sie, il y a de la scansion, c\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019il y a de la musique dans la litt\u00e9rature. Il y a aussi de la peinture dans la litt\u00e9rature, il y a sans doute de la vision dans la musique. [\u2026] Ce temps avec lequel ces trois arts sont fabriqu\u00e9s sont trois temps diff\u00e9rents au d\u00e9part. C\u2019est le m\u00e9lange, la tol\u00e9rance de ces trois temps qui fait que \u00e7a \u00ab\u00a0fabrique\u00a0\u00bb de l\u2019art. Diderot et Baudelaire en parlent \u00e9norm\u00e9ment. Lire un livre est un spectacle, lire une partition musicale l\u2019est aussi\u2026<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Des graphismes \u00e0 la limite de la calligraphie\u00a0?<\/p>\n

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Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Oui, pourquoi sommes-nous interrog\u00e9s par la peinture chinoise alors que nous ne connaissons rien de son signifi\u00e9\u00a0? Et puis d\u2019ailleurs, je n\u2019ai pas envie de savoir. Je pense que la connaissance passe plus par le senti. Il y a une intelligence du senti. Pour moi, le premier principe est le principe de plaisir qui est dans doute l\u2019intelligence avec laquelle il est le plus difficile de faire quelque chose. Nous avons tous des troncs communs et ce que j\u2019appelle humanisme, c\u2019est quelque chose qui ressemble aux histoires d\u2019amour o\u00f9 l\u2019on s\u2019accroche, o\u00f9 l\u2019on partage.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Lorsque vous dites que dans la peinture il y a aussi l\u2019\u00e9criture, est-ce qu\u2019\u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de la peinture il n\u2019y a pas aussi deux aspects (et ils sont tr\u00e8s forts dans votre peinture) la peinture et le dessin. Vous parliez de la gravure tout \u00e0 l\u2019heure qui intervient avec des couches de couleur, des surfaces qui sont parfois nettes, parfois floues\u2026 que vous venez graver, gratter, pour essayer d\u2019avoir une double lecture.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

J\u2019ai toujours pens\u00e9 qu\u2019on est riche de ses manques. J\u2019aurais bien aim\u00e9 \u00eatre un graveur mais je n\u2019en ai pas la patience. En revanche, quand j\u2019en vois, je deviens \u00e0 mon tour riche du temps que je n\u2019ai pas eu pour en faire et de l\u2019envie que j\u2019aurais eu d\u2019en faire\u2026 Moi je suis \u00ab\u00a0fond\u00e9\u00a0\u00bb par le dessin, par le plaisir que j\u2019ai \u00e0 \u00e9couter de la musique et par l\u2019envie que j\u2019ai eu d\u2019en faire. C\u2019est pourquoi j\u2019ai envie de \u00ab\u00a0musicaliser\u00a0\u00bb ma peinture. Ce type de raisonnement \u00e9vite le manich\u00e9isme qui a r\u00e9gn\u00e9 pendant longtemps, c\u2019est-\u00e0-dire que la peinture ne soit qu\u2019image. Ce n\u2019est pas qu\u2019une image. Le silence avec lequel on la regarde fabrique de la musique. La musique est une sp\u00e9culation intellectuelle avec laquelle le sensible se met en place. Toutes les \u0153uvres sont faites pour mettre \u00e0 jour quelque chose, mais aussi pour r\u00e9gler un compte avec la mort. [\u2026]<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

J\u2019ai parl\u00e9 avec Jean-Yves Bosseur des concerts des anges, de Fra Angelico, du flou et du net dans votre peinture, du bleu, de l\u2019or\u2026<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Je suis plut\u00f4t quelqu\u2019un de \u00ab\u00a0ritualiste\u00a0\u00bb. Je pense que le rituel permet d\u2019avoir la garantie que le \u00ab\u00a0senti\u00a0\u00bb ne d\u00e9borde pas de trop. C\u2019est-\u00e0-dire que le pulsionnel, le chaos ne l\u2019emporte pas sur l\u2019art. Lorsqu\u2019on dessine un paysage, c\u2019est vite fait un tr\u00e8s grand bordel. Le travail du dessinateur est d\u2019organiser le chaos [\u2026] La \u00ab\u00a0technique\u00a0\u00bb est un garde-fou. Mais s\u2019il n\u2019y a que de la technique il n\u2019y a pas de libert\u00e9. La libert\u00e9, c\u2019est quand on ne voit plus la technique. L\u2019art a du sens parce que l\u2019individu doit avoir du sens. Quel est-il\u00a0? C\u2019est un peu ce que dit Roland Barthes. Il y a une sorte de polys\u00e9mie et de polymorphisme. Pouvoir sauter du \u00ab\u00a0coq \u00e0 l\u2019\u00e2ne\u00a0\u00bb ou du \u00ab\u00a0coq \u00e0 l\u2019arbre\u00a0\u00bb, ou bien du \u00ab\u00a0vague \u00e0 l\u2019arbre\u00a0\u00bb fat qu\u2019il n\u2019y a pas de monotonie qui s\u2019instaure [\u2026]<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Vous parliez du rituel et aussit\u00f4t la couleur or appara\u00eet.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Oui. Une ic\u00f4ne utilise des couleurs superficielles qui renvoient la lumi\u00e8re telle que l\u2019or. Une ic\u00f4ne n\u2019est jamais termin\u00e9e. C\u2019est une attitude religieuse qui consiste \u00e0 rajouter \u00e0 chaque fois quelque chose de mieux pour essayer de s\u2019am\u00e9liorer. Donc, c\u2019est une \u0153uvre en perp\u00e9tuel changement. Quand une ic\u00f4ne, dans le culte orthodoxe, est sortie de son contexte et devient \u0153uvre d\u2019art, c\u2019est une aberration. J\u2019utilise ce proc\u00e9d\u00e9. Je sais que c\u2019est une c\u00e9l\u00e9bration perp\u00e9tuelle qui n\u2019en finit pas puisqu\u2019\u00e0 chaque fois il y a une succession de couches. Il n\u2019y a pas d\u2019original. Il n\u2019y a que des strates qui n\u2019ont comme but, pour les orthodoxes, que de chercher Dieu. Moi je suis la\u00efc, je trouve que le rituel consistant \u00e0 rajouter sans cesse la m\u00eame chose est une fa\u00e7on de concevoir l\u2019humain. C\u2019est path\u00e9tique parce que \u00e7a renvoie \u00e0 une notion d\u2019\u00e9ternit\u00e9.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

L\u2019or qu\u2019on retrouve souvent dans votre peinture est une couleur particuli\u00e8re puisqu\u2019elle appara\u00eet gr\u00e2ce \u00e0 la lumi\u00e8re et en m\u00eame temps elle la r\u00e9fl\u00e9chit.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Oui et ce n\u2019est pas photographiable. Pour moi c\u2019est une qualit\u00e9.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Il y a un rapport au myst\u00e8re\u00a0: le fait que votre pi\u00e8ce soit pr\u00e9sente et qu\u2019on ne puisse pas en faire des reproductions\u2026<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Cela laisse la possibilit\u00e9 au photographe d\u2019en faire ce qu\u2019il veut. C\u2019est la lumi\u00e8re qui fait le travail et c\u2019est l\u2019intelligence du spectateur qui en fait quelque chose. Ce n\u2019est pas l\u2019\u0153uvre qui se donne elle-m\u00eame\u2026 J\u2019aime l\u2019\u00e9preuve mais pas les preuves. Une partie de l\u2019art contemporain m\u2019ennuie parce qu\u2019il veut prouver, illustrer et \u00e7a, \u00e7a ne m\u2019int\u00e9resse pas. En revanche ce qui m\u2019int\u00e9resse c\u2019est l\u2019intelligence de l\u2019abandon un abandon organis\u00e9. C\u2019est une des d\u00e9finitions de l\u2019anarchie d\u2019ailleurs\u00a0: l\u2019ordre sans pouvoir.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Le bleu qu\u2019on retrouve dans l\u2019ic\u00f4ne et notamment aussi chez Fra Angelico [\u2026] Je pense que c\u2019est un peintre que vous regardez\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Quand j\u2019\u00e9tais enfant je n\u2019aimais que le rouge, je pensais que e bleu \u00e9tait une couleur servile. Je me suis souvent pos\u00e9 la question de savoir quel type de rapport j\u2019entretiens avec le bleu et le rouge.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Bleu, rouge et or sont les trois couleurs primaires si l\u2019on consid\u00e8re que l\u2019or est proche du jaune\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Oui, tout \u00e0 fait. Les couleurs ne m\u2019int\u00e9ressent pas vraiment pour \u00e7a. Ce qui m\u2019int\u00e9resse en elles, c\u2019est leur impact musical [\u2026] La rencontre entre un musicien et un peintre doit mener au partage [\u2026]<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Par rapport \u00e0 tous ces arts, il y a l\u2019ange qui plane [\u2026] Votre travail aborde le bleu et l\u2019or qui sont des couleurs qu\u2019on retrouve dans une sorte de figuration sacr\u00e9e dans l\u2019histoire de la peinture. Pourtant l\u2019ange, jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, je ne l\u2019ai pas vu dans votre travail\u2026<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

J\u2019en ai fait beaucoup. Mes premiers travaux \u00e9taient ex\u00e9cut\u00e9s \u00e0 partir d\u2019oiseaux. C\u2019\u00e9tait la figure mythique de l\u2019ange en quelque sorte. Celui-l\u00e0, c\u2019est un pigeon que j\u2019ai trouv\u00e9 un jour dans une chemin\u00e9e. J\u2019ai essay\u00e9 de le coller, de l\u2019int\u00e9grer \u00e0 la toile. Je ne m\u2019en s\u00e9parerai jamais. Finalement c\u2019est une figure ang\u00e9lique comme les anges du Greco.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

C\u2019est un pigeon dess\u00e9ch\u00e9 ?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Momifi\u00e9. Il restera toujours ici comme un embl\u00e8me. J\u2019ai commenc\u00e9 mes premiers travaux \u00e0 partir d\u2019oiseaux \u00e0 cause des ailes. Le bec lui, fait souvent appel \u00e0 l\u2019autoportrait.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Vous aviez donc d\u00e9j\u00e0 travaill\u00e9 sur l\u2019ange\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Plein de fois.<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Il y a longtemps\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Dix ans, minimum.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Il y a un retour \u00e0 ce th\u00e8me\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Non. Je pense qu\u2019on passe son temps \u00e0 r\u00e9p\u00e9ter la m\u00eame chose. Les formes et les rythmes avec lesquels on le fait ne sont pas les m\u00eames. Quand je dessine, par exemple, je consid\u00e8re les feuilles comme des ailes, des plumes.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Et l\u2019or, de la poussi\u00e8re d\u2019ange\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

On ne conna\u00eet pas le sexe des anges, c\u2019est soit de la lumi\u00e8re, soit une repr\u00e9sentation. Je passe peut-\u00eatre mon temps \u00e0 chercher le sexe des anges\u00a0!<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Pour en revenir \u00e0 la performance dans la galerie. L\u00e0 ce sera u ange f\u00e9minin qui sera le mod\u00e8le\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Je vais essayer de faire en sorte qu\u2019une femme soit sans sexe.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Une femme androgyne\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Est-ce cela l\u2019ang\u00e9lisme\u00a0? Je ne sais pas\u2026 Quand on \u00e9coute la musique d\u2019Allegri, la premi\u00e8re voix est celle d\u2019un enfant. C\u2019est une voix d\u2019ange.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

On retourne \u00e0 une p\u00e9riode qui est celle du tout d\u00e9but de la Renaissance par le biais de l\u2019ange, du bleu, de l\u2019or, du paysage.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Je pense que l\u2019ange a toujours \u00e9t\u00e9 la figure embl\u00e9matique des peintres lorsqu\u2019ils ne savaient plus o\u00f9 ils en \u00e9taient pour faire leur peinture. M\u00eame lorsque les commanditaires \u00e9taient des religieux. Mais \u00e7a n\u2019engage que moi\u00a0!<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Des peintres en mal d\u2019inspiration\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

L\u2019ange est l\u00e0 pour suppl\u00e9er au souffle [\u2026] Je termine actuellement le livre de Michel Serres. La figure de l\u2019ange en peinture serait celle de l\u2019Id\u00e9al chez Baudelaire et Rimbaud. C\u2019est une mat\u00e9rialisation esth\u00e9tique de quelque chose qui est hors de port\u00e9e, que personne n\u2019a jamais vue.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

C\u2019est aussi le messager. C\u2019est un peu l\u2019Herm\u00e8s\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

C\u2019est celui qui transporte l\u2019\u00e9motion. C\u2019est celui qui souffle, qui \u00e9claire, qui donne toutes les portes sans en fermer une seule.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Au sujet des titres\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Les titres remplacent la po\u00e9sie. Avant j\u2019\u00e9crivais beaucoup. Maintenant, j\u2019ai accept\u00e9 de ne plus \u00e9crire. C\u2019est le titre des s\u00e9ries qui remplace ce que je pourrais faire en \u00e9criture.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Est-ce que le titre est g\u00e9n\u00e9rateur de peinture, source d\u2019inspiration\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Parfois le titre est g\u00e9n\u00e9rateur, parfois c\u2019est la peinture qui vient r\u00e9v\u00e9ler quelque chose.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Thierry Heynen<\/strong><\/p>\n

Ainsi pour les mots qui sont au mur, ils peuvent \u00e0 la fois donner l\u2019impulsion et \u00eatre le r\u00e9sultat d\u2019une r\u00e9flexion\u00a0?<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

En litt\u00e9rature c\u2019est pareil. Parfois j\u2019aime des choses tr\u00e8s s\u00e9rieuses et parfois des choses assez cyniques. D\u2019ailleurs j\u2019aime bien faire une bonne plaisanterie comme \u00ab\u00a0Quand l Titien aboie, le Caravage passe\u2026\u00a0\u00bb.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Entretien du 17 janvier 1994 entre Thierry Heynen<\/strong>, directeur de la galerie Duchamp \u00e0 Yvetot<\/p>\n

et Denis Godefroy, pr\u00e9alable \u00e0 la performance <\/strong>de Denis Godefroy et Jean-Yves Bosseur.<\/p>\n

Exposition \u00ab\u00a0Correspondances\u00a0\u00bb f\u00e9vrier-mars 1994.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

\u00ab Denis Godefroy (1949-1997) \u00bb<\/em>, France, Somogy \u00c9ditions d\u2019Art, 2003, <\/span>p.174-176.<\/span><\/p>","protected":false},"excerpt":{"rendered":"","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[6],"tags":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1230"}],"collection":[{"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=1230"}],"version-history":[{"count":4,"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1230\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1401,"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1230\/revisions\/1401"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=1230"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=1230"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=1230"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}