{"id":562,"date":"2019-08-24T19:52:18","date_gmt":"2019-08-24T19:52:18","guid":{"rendered":"https:\/\/toto.denisgodefroy.fr\/?p=562"},"modified":"2019-08-25T16:50:18","modified_gmt":"2019-08-25T16:50:18","slug":"notes-dactylographiees","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/notes-dactylographiees","title":{"rendered":"Notes dactylographi\u00e9es (20 novembre 1981)"},"content":{"rendered":"
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Je suis un peintre de paysages, c\u2019est-\u00e0-dire que ma sentimentalit\u00e9 est fabriqu\u00e9e par mes yeux. C\u2019est mon corps qui r\u00e9agit en premier. Une fois dans l\u2019atelier cela s\u2019inverse\u00a0: c\u2019est d\u2019abord un rapport \u00e0 la sentimentalit\u00e9 pour devenir un rapport au corps. Quand je suis dans un paysage, la partie o\u00f9 le spirituel fonctionne avec une certaine \u00e9nergie, pour moi ce serait plut\u00f4t le ciel. J\u2019investis sur des espaces de sable et sur des espaces de ciel. Mes \u00ab\u00a0tableaux\u00a0\u00bb se situent entre ciel et terre.<\/p>\n

Je travaille \u00ab\u00a0\u00e0 partir\u00a0\u00bb de photographies que je fais dans la baie du Mont-Saint-Michel. C\u2019est un paysage \u00e0 la fois existant et inexistant, apparemment sans limite et qui se transforme au gr\u00e9 des mar\u00e9es. Pour moi, la baie du Mont-Saint-Michel fonctionne comme un espace m\u00e9ditatif. Je suis tr\u00e8s attir\u00e9 par tous les espaces de \u00ab\u00a0contemplation\u00a0\u00bb, les espaces o\u00f9 l\u2019on ne peut s\u2019accrocher \u00e0 nulle anecdote. Le questionneur\u00a0: ce sont les petits \u00e9carts qu\u2019il peut y avoir dans cette rectitude.<\/p>\n

La photographie que j\u2019appelle une fulgurance, arriv\u00e9e au terme de son \u00e9volution (quand le d\u00e9veloppement est termin\u00e9) est charg\u00e9e d\u2019\u00e9motion, r\u00e9investit \u00e0 la fois le souvenir, un certain pass\u00e9, une certaine mise en situation\u2026 Tout le lyrisme, tous les exc\u00e8s d\u2019\u00e9motion que je peux avoir en rapport au paysage, je le purge par la photographie.<\/p>\n

Je ne travaille jamais d\u2019apr\u00e8s photos. Elles amorcent et alimentent ma frustration\u00a0; c\u2019est-\u00e0-dire, je ne travaille jamais mieux sur un paysage que lorsque je ne le vois pas.<\/p>\n

Chacun des quinze tableaux de la Suite \/ Minoirs<\/em> sur laquelle je travaille actuellement mesure deux m\u00e8tres de long sur un m\u00e8tre de haut. La bande m\u00e9diane parcourt trente-deux m\u00e8tres. Elle correspond \u00e0 la fa\u00e7on dont je per\u00e7ois l\u2019horizon dans ce paysage, ce qui explique que l\u2019espace \/ ciel soit plus petit que l\u2019espace terre. La bande m\u00e9diane n\u2019est donc pas tout \u00e0 fait au milieu\u00a0; son bord inf\u00e9rieur l\u2019est, mais il y a treize centim\u00e8tres au-dessus. C\u2019est une mise en situation g\u00e9ographiquement et proportionnellement \u00e9quivalente.<\/p>\n

Les surfaces inf\u00e9rieures et sup\u00e9rieures, par rapport \u00e0 cette charni\u00e8re qu\u2019est la bande m\u00e9diane, c\u2019est l\u2019espace du dessin.<\/p>\n

Pr\u00e9alablement, je trace la bande m\u00e9diane toujours identiquement situ\u00e9e, et la prot\u00e8ge pour qu\u2019elle reste immacul\u00e9e pendant tout le temps que je travaille sur l\u2019espace du dessin.<\/p>\n

L\u2019espace du dessin, c\u2019est l\u00e0 o\u00f9 se passe ce que j\u2019appelle la premi\u00e8re \u00e9preuve physique du travail, entre douze et quatorze couches de poudre de plomb. Je n\u2019y trouve pas beaucoup de plaisir mais je sais que le plaisir viendra plus tard\u2026 C\u2019est un travail physiquement \u00e9puisant, o\u00f9 le temps intervient comme l\u2019un des \u00e9l\u00e9ments constitutifs de ce travail.<\/p>\n

Ce qui m\u2019ennuie, c\u2019est le corps. J\u2019essaie de faire en sorte que ma quotidiennet\u00e9 (je pratique le rugby) purge le c\u00f4t\u00e9 distractif, l\u2019envie de gesticuler pour que dans mon travail je sois distrait le moins possible. C\u2019est une qualit\u00e9 pour moi de savoir ce qu\u2019est l\u2019ennui, d\u2019accepter que le temps passe tr\u00e8s lentement, que les m\u00eames gestes se r\u00e9p\u00e8tent.<\/p>\n

Sur cet espace du dessin qui est la mise en sc\u00e8ne de propos que je vais d\u00e9velopper dans la bande m\u00e9diane, je r\u00e9partis des verticales de deux m\u00e8tres en deux m\u00e8tres, d\u2019un panneau sur l\u2019autre. Ce ne sont ni des lignes de partage ni du formalisme, mais des \u00ab\u00a0scansions\u00a0\u00bb de l\u2019espace du dessin.<\/p>\n

Finalement je dessine sur cette surface qui, graphit\u00e9e, est devenue l\u2019espace du geste, mon espace n\u00e9vrotique. J\u2019utilise des mines de plomb dures, molles, des crayons de couleur, des pastels\u2026<\/p>\n

Comment peut-on qualifier ce geste, ce travail de hachures, qui suit compl\u00e8tement la main, qui lui donne une esp\u00e8ce de rondeur\u00a0? … J\u2019essaie de donner une texture, une certaine qualit\u00e9 vibratoire, comme en musique. Il n\u2019y a point ajout de couleurs, c\u2019est seulement une fa\u00e7on de colorer cette Suite \/ Minoirs<\/em>. Il y a huit, neuf, dix, onze couleurs\u00a0! Les traits s\u2019enchev\u00eatrent\u00a0! En fait, pour que cet espace vibratoire reste extr\u00eamement t\u00e9nu, j\u2019y passe en dernier lieu une ultime couche de plomb, afin d\u2019att\u00e9nuer le tout pour qu\u2019il y ait une homog\u00e9n\u00e9it\u00e9 totale.<\/p>\n

En dessinant, j\u2019essaie de faire na\u00eetre du \u00ab\u00a0sentiment\u00a0\u00bb afin de r\u00e9actualiser mon souvenir de paysage. Une interaction exerce entre le \u00ab\u00a0sentiment du pass\u00e9\u00a0\u00bb et le \u00ab\u00a0sentiment \u00e0 fabriquer\u00a0\u00bb, un inversement corps \/ sentiment \u2013 sentiment \/ corps.<\/p>\n

Une certaine vacuit\u00e9 passe par la confrontation de deux pratiques\u00a0: celle du dessin et celle de la peinture. La bande m\u00e9diane serait pour moi le lieu de convergence et la mat\u00e9rialisation de cette vacuit\u00e9-m\u00e9ditative.<\/p>\n

Sur la bande m\u00e9diane se d\u00e9veloppe une sorte de discours, de dialectique qui se situe entre la \u00ab\u00a0normalit\u00e9\u00a0\u00bb qui serait l\u2019exercice de la peinture et la \u00ab\u00a0normalit\u00e9\u00a0\u00bb qui serait l\u2019espace de la n\u00e9vrose (cf <\/em>noyau psychotique).<\/p>\n

En un premier temps, je fabrique une p\u00e2te en m\u00e9langeant du m\u00e9dium avec de la poudre de plomb. En un deuxi\u00e8me temps, je colore cette p\u00e2te avec de la peinture. L\u2019espace peint ne peut-il pas en effet se resituer simplement dans la fa\u00e7on de colorer la p\u00e2te\u00a0?<\/p>\n

J\u2019essaie de faire en sorte que cette bande m\u00e9diane apparaisse comme une m\u00e9lodie tr\u00e8s tr\u00e8s sourde, tr\u00e8s en demi-teinte, vapor\u00e9e\u2026<\/p>\n

La continuit\u00e9 de cette bande m\u00e9diane c\u2019est tout ce que peut prendre en charge une ligne d\u2019horizon.<\/p>\n

\u00a0<\/p>\n

Denis Godefroy<\/strong><\/p>\n

Archives priv\u00e9es<\/p>\n

\u00ab\u00a0Denis Godefroy (1949-1997)\u00a0\u00bb<\/em>, France, Somogy \u00c9ditions d’Art, 2003, p.62.<\/p>\n<\/div>","protected":false},"excerpt":{"rendered":"","protected":false},"author":1,"featured_media":563,"comment_status":"closed","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[6],"tags":[],"class_list":["post-562","post","type-post","status-publish","format-standard","has-post-thumbnail","hentry","category-textes"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/562"}],"collection":[{"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=562"}],"version-history":[{"count":3,"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/562\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":582,"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/562\/revisions\/582"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/media\/563"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=562"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=562"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/denisgodefroy.fr\/en\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=562"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}