« Dans le cadre de sa vie privée, Godefroy ne se prive pas de mener de multiples expériences. Seul compte pour nous ce qu’il en advient de public. » Robert Carmyne, Une nuit d’ébauche : le spectacle vocal de la peinture.
Publique aujourd’hui, sans conteste, son œuvre offerte pour la première fois sous cette forme rétrospective.
Publics les commentaires et analyses qu’elle a suscités et qu’elle suscite encore, regroupés au fil des pages de cet ouvrage qui éclairent les rapports de Denis avec l’histoire de l’art, les filiations qu’il a acceptées ou revendiquées, les cheminements, les doutes, les fils menés entre peinture et photographie, entre peinture et musique, entre peinture et langage, vagues, nuit, folie, enfer…
Denis Godefroy public c’est bien sûr avant tout cette œuvre qui reste, livrée au regard, à l’admiration, à la médiation, à la contemplation, à la critique, à l’analyse. Mais Denis public c’était cela et bien d’autres choses.
C’était son atelier, public, par essence. L’un de ses élèves évoque ici la double fonction qu’avaient pour lui les heures qu’il y passait : « étudier la peinture et chercher une conduite. » Pour qui – comme moi – ne faisait pas partie de ses élèves, le passage à l’atelier était devenu une sorte de rite. Souvent, pas toujours, Denis montrait son travail en cours, en parlait, questionnait, bousculait.
C’étaient les stages, avec une pensée particulière pour ceux qui ont eu lieu à Corbier, en Corrèze… Les voisins, d’abord déroutés par cette arrivée massive de gens bizarres qui passaient des heures assis, au soleil ou à l’abri de la pluie, à dessiner une barrière, un arbre, la porte de l’église, un bout de grange, ont été conquis et ont adopté ces artistes qui s’intéressaient à un environnement qu’eux-mêmes avaient fini par ne plus voir. Quelques dessins sont là-bas conservés avec tendresse et la mort de Denis y a laissé un vide.
Cela a été sa participation, déterminante, à la création et à la vie de la galerie Déclinaisons, lieu et instance d’expositions, d’échanges, de partages, de liens tissés et d’horizons ouverts.
C’était son travail d’art thérapeute, à l’hôpital de jour, à l’hôpital psychiatrique, son investissement dans la création du festival Art et Déchirure.
C’était son engagement politique, le coup de gueule contre les « ennemis », le verbe, les discutions avec les amis, les proches.
C’était aussi sa passion pour le rugby, sa position de « talonneur » n’ayant sans doute rien à voir avec un quelconque hasard !
Très vite, après un premier contact qui pouvait avoir eu lieu sur le plan artistique, professionnel, politique ou sportif, Denis établissait des passerelles, introduisait à l’ensemble de son univers. Il ne cloisonnait pas. Il savait transmettre, être avec, comprendre et faire comprendre, sentir le bien ou le mal-être de son interlocuteur. Il aimait la confrontation avec les idées, avec la matière, avec les corps. À la fois intellectuel et physique, suivant ses propres termes, il usait autant de la parole que du geste, avec un mélange de chaleur et de brutalité, dans sa relation aux autres, dans sa volonté de convaincre, dans son rôle de passeur.
Joëlle Bolloch
« Denis Godefroy (1949-1997) », France, Somogy Éditions d’Art, 2003, p.167.